Résumé
Contexte: Le traitement de l'angine de poitrine par angioplastie coronaire transluminale percutanée (PTCA) est efficace et peu invasif, mais son impact sur la qualité de vie des patients a été relativement peu étudié avec des questionnaires spécifiques.
Méthode: Durant 6 mois, tous les patients souffrant d'une angine de poitrine pour qui une PTCA élective était envisagée, et qui étaient disponibles pour un suivi à 6 mois ont été inclus dans l'étude. Le questionnaire spécifique «Seattle Angina Questionnaire» (SAQ) a été utilisé le jour avant et 6 mois après la procédure. La décision d'implanter un stent était laissée au cardiologue au moment de la procédure.
Résultats: 112 patients ont été initialement inclus. Trente-neuf d'entre eux ont été traités avec une PTCA, et 62 avec une PTCA et l'implantation de stent. Il n'y avait pas de différence de sexe, d'âge, de sévérité de l'angine de poitrine, et de type de lésion coronaire entre les deux groupes. Un suivi à 6 mois a été possible pour 101 patients (90% de la cohorte initiale). La qualité de vie a été améliorée de façon spectaculaire dans 4 des 5 dimensions du SAQ (limites physiques, stabilité de l'angor, fréquence de l'angor, perception de l'angor, p <0,001). Seule, la satisfaction avec le traitement était pire lors du suivi qu'avant l'intervention (p = 0,03), en particulier la satisfaction avec les explications reçues, la conviction que tous les moyens avaient été utilisés pour le traitement, et la satisfaction globale. L'implantation d'un stent n'a eu aucun impact sur ces résultats.
Conclusions: Le traitement percutané des patients avec une maladie cardiaque ischémique a amélioré non seulement leurs performances physiques mais a également eu un impact important sur leur qualité de vie. L'insatisfaction avec le traitement pourrait être corrigée par une meilleure information durant le suivi du patient. Le questionnaire SAQ est facile d'utilisation et pourrait être utilisé comme instrument de suivi.
Mots clés: qualité de vie; angioplastie coronaire transluminale percutanée; angina; stent; Seattle Angina Questionnaire
Introduction
L'angioplastie coronaire transluminale percutanée (PTCA) avec ou sans implantation de stent est un traitement courant et efficace pour soulager les symptômes de l'angine de poitrine chez les patients souffrant d'une maladie ischémique du cœur.
A ce jour, seules quelques études ont abordé l'évaluation de la qualité de vie (QOL) des patients dans ces conditions [
1,
2,
3,
4,
5,
6,
7,
8,
9,
10,
11]. La plu
part d'entre elles ont utilisé des instruments de mesures génériques, l'une sans groupe comparatif [
1]
, deux autres en comparant la PTCA à la chirurgie coronarienne [
2,
3]
, deux au traitement médical [
4,
5]
, ou encore dans des analyses de sous-groupes (chez les octogénaires [
6]
, ou chez les fumeurs [
7]
). Seules 4 études ont utilisé un questionnaire spécifique pour la maladie coronarienne [
89,
10,
11], l'une dans le cadre particulier d'une ischémie post-infarctus [
8]
, les trois autres dans une comparaison des PTCA avec ou sans implantation de stent [
9,
10,
11]
, soit en associant un questionnaire générique et un questionnaire spécifique [
9,
10]
, soit avec un questionnaire spécifique seul [
11]
. Finalement, seules 4 études ont évalué la QOL avant et après la procédure [
1,
3,
5,
7]
, et aucune d'entre elles n'a utilisé un questionnaire spécifique pour la maladie coronarienne. Notre objectif était donc d'étudier la faisabilité d'évaluer la qualité de vie des patients avant et 6 mois après angioplastie, en utilisant un instrument spécifique pour la maladie coronarienne, le «Seattle Angina Questionnaire» [
12].
Patients et méthodes
Durant une période de 6 mois, tous les patients hospitalisés consécutivement dans notre hôpital avec un diagnostic d'angine de poitrine, pour qui une PTCA élective était envisagée, ont été inclus dans cette étude. L'information sur la procédure était fournie comme de routine par le médecin assistant en charge du patient, sur la base de la brochure éditée par la Fondation Suisse de Cardiologie [
13], suite à quoi chaque patient devait signer un formulaire de consentement éclairé. La participation à l'étude était volontaire, et proposée par les investigateurs (ST, DA), de manière indépendante de la procédure d'information et de recueil de consentement pour l'intervention. Les critères d'exclusion étaient la présence d'autres maladies qui pourraient affecter le statut physique ou psychique en empêchant l'estimation du suivi de la QOL à 6 mois.
Un questionnaire spécifique pour la maladie coronarienne, le Seattle Angina Questionnaire (SAQ) [
12], a été utilisé pour évaluer la QOL. Il s'agit d'un questionnaire auto-administré de 19 questions, évaluant les cinq dimensions suivantes: limites physiques (9 questions), stabilité de l'angor (1 question), fréquence de l'angor (2 questions), satisfaction avec le traitement (4 questions) et perception de la maladie (3 questions). Les résultats des questions individuelles sont recueillis sur une échelle de type Likert à 6 points, dont une neutre, puis additionnés à l'intérieur de chacune des cinq dimensions. Ces résultats sont ensuite transformés en un score de 0 à 100 indiquant le pire état et 100 le meilleur état possible. Le questionnaire a montré une très bonne corrélation avec des mesures objectives de sévérité de la maladie dans une étude intitulée «Seattle Veteran Affair» [
4]. Le questionnaire existe en français et a été validé dans cette langue aussi. Il est présenté en Annexe 1.
Tous les patients ont complété le questionnaire le soir avant la PTCA. Les caractéristiques des patients telles que les facteurs de risque coronariens, le stade de la maladie selon la Canadian Cardiovascular Society Classification (CCSC) [
14], la sévérité de l'atteinte des vaisseaux coronariens, et le traitement médicamenteux, ont été extraites des dossiers cliniques, tandis que le diamètre de la sténose et le diamètre luminaire moyen (MLD) avant et après la PTCA ont été extraits du protocole d'intervention. La décision de l'implantation ou non d'un stent durant l'angioplastie a été laissée à l'appréciation du cardiologue effectuant la procédure.
Les patients sont rentrés à domicile avec le questionnaire de suivi et une enveloppe pré-affranchie, pour le suivi à 6 mois. A ce moment-là, ils ont été contactés par téléphone par un des investigateurs (ST) pour les encourager à compléter le questionnaire, et ont été interrogés sur leur état de santé afin de déterminer le stade de leur maladie, la nécessité d'une hospitalisation dans l'intervalle pour des raisons cardiaques et leur traitement médicamenteux actuel. Ce protocole a été approuvé par la Commission d'éthique de la recherche de notre établissement.
L'analyse a été faite en intention de traiter. Les données de type catégories ont été rapportées en tant que fréquences, et analysées avec le test de chi carré, tandis que les données continues ont été rapportées comme moyenne ± déviation standard, et analysées avec le test t de Student. Les données distribuées de manière non symétrique ont été comparées avec le test de Wilcoxon. Une signification statistique a été retenue pour des valeurs de p <0,05.
Résultats
Sélection des patients
Durant la période d'inclusion, 112 patients consécutifs avec une maladie coronarienne d'un seul ou de plusieurs vaisseaux (93 hommes et 19 femmes, âge moyen 60 ± 11 ans) ont accepté de participer à l'étude. Le suivi à 6 mois a été possible pour 101 patients (90%): 2 patients sont décédés durant le suivi pour des raisons cardiaques, et 9 patients ont été perdus de vue.
A l'évaluation de base, ces 11 patients n'étaient pas différents des patients restant dans l'étude, aussi bien en ce qui concerne le sexe, l'âge, les facteurs de risques cardiovasculaires, le stade de la maladie, le nombre de vaisseaux impliqués, le diamètre de la sténose, et le MLD avant et après la procédure.
Caractéristiques de base
Des 101 patients qui ont complété la période de suivi, 39 ont été traités pour une angioplastie à ballonnet seule (groupe ballonnet) et 62 ont reçu un stent (groupe stent). Les caractéristiques des patients des deux groupes sont présentées au
tableau 1. Il n'y avait pas de différence dans l'âge, le sexe, les facteurs de risques cardiovasculaires, le stade de la maladie, le nombre de vaisseaux impliqués, la sévérité de la sténose et la QOL de base entre les 2 groupes (
figure 1). Après PTCA, le MLD et le pourcentage de sténose étaient semblables dans les 2 groupes (
tableau 1).
Tabelle 1.
Caractéristiques de base des patients.
Tabelle 1.
Caractéristiques de base des patients.
Suivi à 6 mois
Durant les 6 mois de suivi, 28 patients (28%) ont dû être réhospitalisés pour des raisons cardiaques. 18 d'entre eux (18%) ont subi une seconde coronarographie et une nouvelle PTCA à cause d'une resténose. Le pourcentage de nouvelles PTCA effectuées dans les lésions précédemment traitées était le même dans les deux groupes.
Qualité de vie à 6 mois
Dans les deux groupes, les scores de la qualité de vie étaient améliorés de façon spectaculaire dans 4 des 5 dimensions après la procédure (
figure 1); toutes les différences étaient statistiquement très significatives, seule la «satisfaction avec le traitement» était pire à 6 mois qu'avant. L'analyse des scores observés aux 4 questions concernant cette dimension (
figure 2) a montré que les patients n'étaient pas satisfaits des explications des médecins au sujet de l'angine de poitrine (p <0,001 pour l'ensemble des patients), du traitement actuel des symptômes d'angine de poitrine (p = 0,002) et qu'ils n'avaient pas crû que tout ce qui était possible avait été fait pour les traiter (p <0,001). En revanche, seuls les patients du groupe ballonnet ont indiqué que le fait de prendre des médicaments était moins ennuyeux pour eux après qu'avant la procédure (p = 0,05). Pour les autres dimensions, les différences des résultats du questionnaire avant et après la PTCA avaient tendance à être meilleures dans le groupe stent que dans le groupe ballonnet, mais cette différence n'avait pas de signification statistique.
Sévérité de l’angine de poitrine, traitement médicamenteux et facteurs de risque à 6 mois
Le stade de l'angine de poitrine selon la classification CCSC était amélioré de manière égale dans les deux groupes (p <0,01). Néanmoins, l'importance du traitement médicamenteux ne variait pas à 6 mois: les proportions de patients traités par béta-bloquants, dérivés nitrés, anti-calciques et/ou molsidomine étaient similaires dans les deux groupes et ne diminuaient pas après la procédure. Etonnamment, le traitement prophylactique avec aspirine était moins fréquent après la procédure qu'avant dans les deux groupes, et cette différence avait une signification statistique dans le groupe stent (p = 0,002). Finalement, plus de patients fumaient après la procédure qu'avant (+3 [+8%] dans le groupe ballonnet, +18 [+77%, p <0,0001]) dans le groupe stent).
Discussion
Cette étude a montré que la QOL était améliorée de façon spectaculaire 6 mois après la PTCA avec ou sans implantation de stent. Toutes les dimensions étudiées par le SAQ montraient des scores meilleurs, excepté la satisfaction avec le traitement.
Sur le plan clinique, les deux groupes montraient une amélioration importante du score de sévérité de leur maladie à 6 mois. Cependant, cette constatation n'était pas corrélée avec une diminution de l'importance de leur traitement médicamenteux.
Sur le plan de la QOL, il n'y avait pas de différence importante dans les résultats observés entre le groupe stent et le groupe ballonnet. Cette conclusion concorde avec les résultats de l'étude Stent Restenosis [
9], une étude similaire mais randomisée, qui utilisait 2 instruments génériques (le SF-36 [
15], et le Duke Activity Status Index [
16]), et évaluait les symptômes de l'angine de poitrine avec une modification du questionnaire d'angor de Rose [
17], et le système de stades de la Canadian Cardiology Society Classification [
14]. Six à 18 mois après la procédure, 60% de ces patients n'avaient plus de symptômes, et aucune différence dans la qualité de vie n'était détectée entre les deux groupes, excepté une diminution des douleurs physiques dans le groupe stent (p = 0,02).
Ces résultats sont également similaires avec ceux obtenus par Rinfret et al [
10], comparant PTCA avec et sans implantation de stent à l'aide du questionnaire SF-36 et du SAQ. Sur ces 509 patients, randomisés entre stent et PTCA conventionnelle, aucune différence n'a été observée en terme de qualité de vie à un mois, à l'exception d'une diminution des douleurs physiques chez les patients stentés (p = 0,03). A 6 mois toutefois, les patients traités par stent présentaient une diminution de la fréquence des crises d'angine de poitrine (p = 0,02), une meilleure perception de leur maladie (p = 0,03), et une tendance à une meilleure stabilité de leur maladie (p = 0,056) mesurée par le SAQ. Ces différences disparaissaient toutefois à 12 mois. Ces résultats n'étaient pas retrouvés chez les 479 patients de l'étude OPUS-1, qui ne montraient aucune différence de QOL mesurée par le SAQ à 6 mois [
11].
Le résultat le plus surprenant de notre étude était la non-satisfaction du patient avec son traitement à 6 mois. Le SAQ pose 4 questions dans cette dimension: la première concerne l'inconvénient lié à la prise de médicament, qui était légèrement diminué à 6 mois, alors que les réponses aux trois autres questions étaient nettement aggravées (satisfaction avec les explications fournies, satisfaction avec le traitement suivi, conviction que tous les moyens possibles étaient utilisés pour le traitement). Ces résultats suggèrent qu'une procédure de suivi pourrait être bénéfique pour maintenir l'amélioration de la QOL apportée par la PTCA. Ils sont compatibles avec ceux de deux autres études, qui montrent que les patients sur-estiment les bénéfices et sousestiment les risques liés à la PTCA. Deux d'entre elles ont montré que 88% des patients pensaient que la PTCA diminuait la mortalité et augmentait l'espérance de vie [
18,
19]. Nos résultats mettent en évidence deux pistes d'amélioration: la première concerne l'éducation du patient, sur les risques et bénéfices de la PTCA, ainsi que sur les mesures d'hygiène de vie à adopter en prévention. La brochure de la Fondation Suisse de cardiologie consacre son dernier chapitre aux conditions nécessaires pour préserver un bon résultat, insistant sur la lutte contre les facteurs de risque et la nécessité d'un traitement médicamenteux, le cas échéant. Ce message est visiblement rapidement oublié, puisqu'il est en effet extrêmement frappant de voir que le nombre de fumeurs a massivement augmenté après PTCA, surtout chez les patients qui avaient subi l'implantation d'un stent. Leur attention devrait être attirée sur ce fait puisqu'une étude a en effet montré que l'amélioration de la qualité de vie mesurée par SF 36 était moins marquée à 6 et 12 mois chez les fumeurs et les patients ayant récemment quitté cette habitude que chez les non-fumeurs [
7]. De manière similaire, la compliance avec la prévention par aspirine devrait aussi être améliorée.
L'autre intervention éducative spécifique devrait être adressée au médecin de famille, pour solliciter une diminution de l'intensité du traitement médicamenteux après l'intervention, à adapter à l'intensité des symptômes cliniques, inciter le patient à une meilleure observance de la prophylaxie par aspirine et de l'importance de stopper sa consommation de cigarettes, et rediscuter sa prise en charge avec lui, à la fois passée et présente, pour éviter les fausses interprétations qui pourraient se développer à distance de la procédure de PTCA. Ces deux interventions pourraient, en cas de succès, améliorer notablement la satisfaction des patients, et en conséquence leur QOL.
Notre étude présente quelques limites évidentes: elle impliquait un centre seulement, de petites cohortes de patients, et n'était pas randomisée. De plus, elle n'utilisait qu'un questionnaire spécifique de QOL, qui comprend des dimensions déterminées, mais en laisse d'autres de côté, qui pourraient avoir une influence sur les réponses obtenues: ce questionnaire n'évalue en particulier pas si le patient présente des signes dépressifs ou non. L'utilisation d'un questionnaire spécifique de QOL ne permet pas non plus de comparaison avec d'autres études ou d'autres affections. Finalement, nous avons comparé des patients avec différentes extensions d'atteinte coronarienne. Certains d'entre eux ont subi une revascularisation partielle seulement. L'évolution de la maladie dans les vaisseaux non-traités pourrait avoir interféré avec les symptômes présentés par ces patients et avoir eu un impact sur la mesure de leur QOL. Cependant, notre étude montrait que, malgré une impressionnante amélioration dans la qualité de vie, il y avait encore moyen d'améliorer la satisfaction et la QOL du patient.
En conclusion, la PTCA avec et sans implantation de stent entraîne une amélioration similaire et marquée de la QOL des patients. Le SAQ est facile d'utilisation, et permet de mettre en évidence des aspects spécifiques à la maladie coronarienne, qui ne le seraient pas par un questionnaire générique. Cet instrument pourrait donc être utilisé comme outil de suivi de la qualité des prestations fournies lors de PTCA.
Nous remercions J. A. Spertus, MD, de nous avoir donné l'autorisation d'utiliser le Seattle Angina Questionnaire et avons apprécié l'implication de l'équipe de cardiologie interventionnelle du CHUV dans la réalisation de cette étude.